Filtrer
Raconter La Vie
-
Pour Annie Ernaux, l'hypermarché est un grand rendez-vous humain, un véritable spectacle. Sa fréquentation est très loin de se résumer à la seule corvée des courses. Dans le journal de ses visites au magasin Auchan des Trois-Fontaines, la romancière livre les sentiments mêlés, attirance mais aussi interrogations, que suscite en elle ce haut lieu de l'abondance. Grâce à ce relevé libre de ses sensations et de ses observations, l'hypermarché, espace familier où tout le monde ou presque se côtoie, arrive enfin à la dignité de sujet littéraire.
-
Brasserie parisienne, restaurant étoilé, auberge gourmande, bistrot gastronomique, taverne mondialisée, cantine branchée, Mauro, jeune cuisinier autodidacte, traverse Paris à vélo, de place en place, de table en table. Un parcours dans les coulisses d'un monde méconnu, sondé à la fois comme haut-lieu du récit national et comme expérience d'un travail, de ses gestes, de ses violences, de ses solidarités et de sa fatigue. Au cours de ce chemin de tables, Mauro fait l'apprentissage de la création collective, tout en élaborant une culture spécifique du goût, des aliments, de la commensalité. À la fois jeune chef en vogue et gardien d'une certaine idée de la cuisine, celle que l'on crée pour les autres, celle que l'on invente et que l'on partage.
-
« Quelle horreur d'être jeune dans ce coin ! ». Cécile Coulon a entendu cette remarque durant toute son adolescence. Les petits villages du fin fond du Massif Central, perdus entre terres agricoles et banlieues dortoirs, seraient-ils des lieux invivables ? L'auteure et ses amis d'enfance ont pourtant su en faire leurs terrains de jeux et d'apprentissage. Entre le stade, l'école, l'unique boutique et l'église, dans un monde dont les adultes sont largement absents, il semble, à lire la romancière, qu'il soit possible de grandir heureux dans l'ignorance la plus totale des grandes villes.
-
Les esthéticiennes détiennent les clés du bien-être et de l'apparence de celles - et ceux - qui ont recours à leurs services. Grâce à leur savoir-faire, elles embellissent les corps, les transforment en objets de fierté ou de séduction. Ces professionnelles de l'esthétique jouent aussi le rôle de psy, de coach, d'infirmière, d'assistante sociale, dans les instituts où elles travaillent, ces fabriques modernes de la beauté.
-
Omar retrace dans ce livre un itinéraire précurseur, le sien : comment, jeune Français d'origine algérienne, il est devenu, au milieu des années 1990, l'un des premiers « barbus ». Il raconte les étapes successives de sa quête d'identité : décrochage scolaire, apprentissage accéléré de l'islam dans les mosquées de la région parisienne, voyages initiatiques à travers le monde, puis défonce sur les pistes de danse. Au terme de ces expériences, il trouve finalement son équilibre dans une pratique spirituelle apaisée. Il y a dix ans, alors qu'un nombre croissant de jeunes font le choix de l'islamisme, Omar coupe sa barbe et redevient invisible. Commence alors pour lui une nouvelle quête, ne visant plus ni l'absolu ni la distinction, celle du calme intérieur. Le parcours singulier d'Omar aide à comprendre celui d'autres jeunes qui, aujourd'hui, se cherchent dans la religion.
Avec La Barbe, la collection accueille pour la première fois un auteur du site raconterlavie.fr.
Omar Benlaala y a publié plusieurs récits. La Barbe est son premier livre. Sa trilogie romanesque sera bientôt accessible en ligne sur gabrielsanto.com.
-
Samira, Samuel, Philippe, Daniel et Étienne sont «commerciaux d'intérim» : ils vendent aux entreprises du bâtiment une force de travail qui ne leur appartient pas, la promesse qu'un ouvrier ira travailler sur un chantier. Ils ont un minimum de diplômes, étaient encore il y a peu manoeuvre-ferrailleur ou secrétaire, mais s'assurent aujourd'hui de gros revenus grâce à leurs fichiers et leur culot. Leur position d'intermédiaires fait d'eux des régulateurs du marché du travail: ils redéfinissent sans cesse les tarifs et les conditions de travail. Ces cinq patrons aimeraient se voir comme des assistantes sociales. Ils contribuent pourtant à accroître l'insécurité et la précarité des ouvriers.
-
Comment naît l'idée d'une recherche ? Comment sait-on si l'on cherche dans la bonne direction ? Trouve-t-on vraiment ce que l'on voulait initialement trouver ? Sébastien Balibar, physicien expérimentateur de la matière froide, offre des réponses à ces questions fondamentales à travers le récit, plein de suspens, d'une découverte scientifique. Pour cela, il nous ouvre grand les portes de son laboratoire où, grâce à une machine ayant la forme d'une fusée, il observe les propriétés déconcertantes des cristaux d'hélium, formidables exemples des bizarreries de la science. À ses côtés, nous découvrons la vie quotidienne d'un chercheur, au plus près de la matière, ponctuée par des moments de doute et d'euphorie, un quotidien dans lequel le scientifique est seul dans ses interrogations mais en dialogue avec d'autres, apprentis et confirmés. Plus fondamentalement, c'est le processus créateur de la science que le chercheur nous invite à comprendre, tension permanente entre un bricolage rationnel et la production de connaissances nouvelles auxquelles le scientifique associera son nom.
-
Dans une cité HLM du nord de Paris en pleine rénovation, des gardiens sont au travail : ils surveillent, réparent, tempèrent. À travers leur regard, on entrevoit ce qui n'est pas montré d'habitude : les résidents qui s'observent, les plaintes quotidiennes et les vrais problèmes. On redécouvre aussi un métier de nouveau convoité : le gardien n'est plus l'homme à tout faire d'hier, il est le médiateur de la cité.
Jean-François Laé est sociologue, enseignant à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Il a notamment publié Les Nuits de la main courante (Stock, 2008) et, avec Numa Murard, Deux Générations dans la débine (Bayard, 2011).
-
Fiction dans le 93. Sous la plume de Rachid Santaki, les frontières entre commerce de la drogue et monde de la com' sont étonnamment poreuses. Après avoir trempé dans le trafic des stups, Rayane - double de l'auteur ? - abandonne le business illégal pour créer un magazine et une boîte de marketing. L'ancrage de Rayane à Saint-Denis devait être son meilleur atout. Pas facile pourtant de tout recommencer quand on a été dealer.Rachid Santaki est un entrepreneur basé en Seine-Saint-Denis. Il est aussi romancier et scénariste. Il est l'auteur de Des chiffres et des litres (Moisson Rouge, 2012) et Flic ou Caillera (Le Masque, 2013).
-
S'il y a des métiers, généralement de pouvoir, où les femmes sont quasiment absentes, il y en a aussi, déconsidérés, où les hommes sont l'exception. Comme dans le monde de la petite enfance. Faudrait-il des compétences innées que seules les femmes auraient pour s'occuper des plus jeunes ? Les très faibles salaires qui rémunèrent ces activités seraient-ils trop dissuasifs pour les hommes ? Les parents craindraient-ils au mieux leur incompétence, au pire des gestes déplacés ? Alors que les hommes s'investissent davantage dans le soin de leurs propres enfants, ne devrait-on pas s'habituer à ce que les éducatrices soient aussi des éducateurs ? Se réjouir que leur arrivée dans cet entre soi féminin encourage à la reconnaissance de l'importance de l'éducation des petits ? Ces questions, les hommes et les femmes que Thomas Grillot a rencontrés en crèche se les posent le plus ouvertement possible tout en se livrant au regard du visiteur sur leur travail.
-
Plongée dans l'univers des parkings aux côtés de ces fous de voitures, capables de ne compter ni le temps ni l'argent pour transformer la leur.
Donné pour mort, le tuning a encore de beaux jours devant lui. Dans le Nord, ce loisir populaire bat son plein au rythme de meetings qui attirent toutes sortes de gens. Ils cherchent à tout prix la distinction et la classe par la personnalisation de leur véhicule. Le rêve automobile fait tenir quand la crise frappe.
Stéphanie Maurice est journaliste. Elle est notamment correspondante pour Libération dans la région Nord-Pas-de-Calais.
-
Une impression d'abandon exaspère aujourd'hui de nombreux Français. Ils se trouvent oubliés, incompris, pas écoutés. Le pays, en un mot, ne se sent pas représenté. Le projet « Raconter la vie », dont cet essai constitue le manifeste, a l'ambition de contribuer à le sortir de cet état inquiétant, qui mine la démocratie et décourage les individus. Pour remédier à cette malreprésentation, il veut former, par le biais d'une collection de livres et d'un site internet participatif, l'équivalent d'un Parlement des invisibles. Il répond ainsi au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, la réalité quotidienne prise en compte.
-
Anthony raconte dans ce livre le choc qu'a été pour lui la découverte du monde du travail après avoir décroché du lycée à 16 ans. Son itinéraire est révélateur de l'actuel mouvement de « reprolétarisation » qui touche de nombreux jeunes qui lui ressemblent. Anthony est emblématique de ces ouvriers d'aujourd'hui dont la vie professionnelle est marquée par le triple sceau de l'incertitude, de la précarité des statuts et de l'absence de recours à l'action collective. À travers lui, c'est donc une nouvelle classe ouvrière, travaillant ici dans le monde des entrepôts et de la logistique, que l'on découvre.
L'histoire d'Anthony n'est pas uniquement celle d'illusions perdues. Bien que résolument pudique sur sa vie personnelle, elle révèle aussi une personne déterminée et mûrie par ses expériences, un jeune qui, à sa manière, refuse de plier.
-
Ce sont elles qui rendent justice aujourd'hui : des femmes d'une trentaine d'années, fraîchement sorties de l'École nationale de la magistrature. Dans ce livre, Céline Roux fait le portrait de quatre de ses collègues et d'elle-même, propulsées à des fonctions lourdes de responsabilité face à des justiciables le plus souvent masculins. Tiraillées par la peur de l'erreur - comment ne pas douter lorsque l'on peut provoquer l'irréparable ?-, elles veulent être infaillibles. Témoins de la détresse mais aussi des bassesses de l'humain, elles sont les gardiennes, pour notre société, de l'équilibre entre justice et répression. Dans un récit qui se veut également plein d'humour, Céline Roux nous entraîne hors du tribunal : la juge peut-elle encore rester exemplaire lorsqu'elle ne porte plus la robe ?
-
Lou a 22 ans lorsque la maladie entre brutalement dans sa vie. Pour survivre, elle doit s'engager dans un combat qu'elle n'a pas choisi et qui va transformer son existence. Elle témoigne, avec une grande lucidité parfois teintée de révolte, de ce parcours chaotique qui l'a menée de la dialyse à la greffe. Elle raconte les espoirs, les galères médicales, l'implacabilité d'un système de soins souvent en mal d'humanité, l'intolérance du monde du travail et de la société face à la maladie chronique et à la vulnérabilité.
L'histoire de Lou est avant tout celle d'une femme libre qui refuse, de gré ou de force, de renoncer à ce qu'elle est et à ses rêves.
-
À Bamako, Fatimata était une lycéenne éprise de liberté dans un milieu familier et protégé. Elle rêvait d'une vie étudiante à Paris. Ce rêve, elle le réalise avec une facilité déconcertante. Mais elle accepte aussi d'y renoncer partiellement en décidant, un mois après son arrivée en France, de porter le voile, première étape de sa transformation en la parfaite musulmane qu'elle souhaite être. La recherche d'une forme de sécurité par l'adoption de règles va transformer son expérience en créant des obstacles à l'accomplissement de ses ambitions. À l'hostilité et la mise à l'écart qu'elle ressent face à son choix, Fatimata répond par l'incompréhension à l'égard d'une société qui l'attirait pourtant avant et la volonté de la quitter.
-
Pour ceux qui sont à l'étroit chez eux, ont des loisirs envahissants, ou sont entre deux vies ou deux maisons, un box loué dans un entrepôt peut faire l'affaire, à défaut d'une cave ou d'un grenier. Derrière les portes numérotées des centres de self-stockage, ces garde-meubles à la carte qui fleurissent aujourd'hui à la périphérie des villes, se cachent des histoires de déménagement, de trop plein, mais aussi de mal logement et de précarité. Lieux de stockage provisoire, les box peuvent devenir consignes, bureaux, ou entrepôts de contrebande. Ils disent, en creux, le besoin de garder ou d'accumuler et, derrière l'apparence de boîtes identiques, la diversité des passions et des conditions.
-
Jean-Marie est marin pêcheur sur le bassin d'Arcachon. Mais un marin d'un genre particulier. Avec ses tatouages noirs et sa carrure de baroudeur, il ne ressemble guère à ses collègues. Il est l'un des seuls à jeter ses filets dans la zone la plus dangereuse, celle des passes, entre le bassin et l'océan.Pour Jean-Marie, aventurier, complexe, cherchant toujours un ailleurs, le bassin aux eaux apparemment si calmes est comme un étau. Le monde commence à sa limite, quand on rencontre l'océan qui, seul, lui permet de se sentir vivre, en prenant tous les risques. Sylvie Caster est née à Arcachon. Elle a fait partie de l'équipe du premier Charlie Hebdo, avant de tenir une chronique au Canard enchaîné. Elle est l'auteur de plusieurs romans, dont Les Chênes verts (1980, rééd. LGF, 1982), Bel-Air (1991, rééd. LGF, 1993, prix Populiste et prix des Bouquinistes), Dormir (Pauvert, 2002, prix Jean-Freustié), et écrit dans la revue XXI depuis sa création.
-
À Bobigny, deux immeubles sont récemment sortis de terre sur l'emplacement historique du premier foyer Sonacotra de la région parisienne. La « mixité sociale », l'« individualisation », la « normalisation des modes de vie » étaient les buts visés. Là où il n'y avait hier que des hommes d'origine immigrée vivent désormais aussi des femmes, des jeunes, des Français. Pour les anciens, qui ont perdu l'entre soi au profit du confort, leur immeuble s'apparente à une maison de retraite. Pour les autres, cassés par la vie, c'est souvent un premier chez eux, une pause dans un itinéraire d'abandon et de rupture. Des solitudes cohabitent aujourd'hui les unes à côté des autres.
-
Stéphane travaille depuis 25 ans sur la chaîne d'abattage d'un grand groupe agro-alimentaire de l'Ouest de la France. Il est " tueur ", un emploi qui en a détourné plus d'un, car il expose directement à la mort des bêtes en même temps qu'il casse les hommes. Un des plus anciens de son usine, Stéphane a vu sa vie professionnelle prendre un nouveau départ grâce à son engagement syndical dans un milieu qui y était initialement hostile.
L'expérience de juré a également été transformatrice pour le regard qu'il porte sur son itinéraire professionnel et, plus généralement, sur lui-même.
-
Nous croyons tout savoir sur nos députés. Il y a pourtant de nombreux invisibles à l'Assemblée, tous ces élus qui, modestement, dans l'ombre, tentent de faire vivre la démocratie par leurs travaux et leur engagement. Députée de la Drôme depuis 2012, maire d'une petite ville de 10 000 habitants, Nathalie Nieson est l'une d'entre eux. Encore étrangère à la tribu -elle siège depuis 2012 -, elle porte un regard franc et lucide sur la vie au Palais Bourbon, ses rapports avec son groupe parlementaire et son parti.
A travers son parcours, tous les défis auxquels notre système politique est confronté sont abordés : complexité du processus législatif, marginalisation du Parlement, déclin des partis, désaffection à l'égard du politique... Loin des ors de la République, elle raconte aussi le quotidien d'une femme qui tente de concilier les contraintes de la vie parlementaire parisienne avec son engagement local et ses convictions politiques.
-
Au prêt sur gage, la figure du besoin n'est plus celle du pauvre ; elle est celle de la débrouillardise - féminine, immigrée. Les clientes du Crédit municipal de Paris savent utiliser l'or qu'elles possèdent comme ressort de leur émancipation et du desserrement des contraintes qui pèsent sur elles - financières, affectives, communautaires. L'ancien Mont-de-Piété est un lieu où ce métal précieux octroie un type de pouvoir qui vient relativiser celui de l'argent. Dans la mise en gage, dans ce qui peut sembler à première vue un déballage de l'intime, se jouent l'affirmation d'une indépendance, le dévoilement d'une ingéniosité, l'utilisation d'une institution à des fins propres.
-
L'histoire de Franck est celle d'un grand écart. Fils d'ouvrier, il dirige aujourd'hui la filiale française d'un grand groupe pétrolier international. Grâce à un indéniable talent mais aussi à une forme de hasard heureux, Franck a su échapper à son milieu et devenir un très grand patron. Dans cette ascension sociale fulgurante, il est resté étranger à la honte des origines, mais n'a pas été tenté pour autant par l'entrisme. Son itinéraire offre un autre modèle : celui de la survalorisation des origines populaires comme arme de pouvoir. Charismatique et meneur d'hommes, Franck peut également être un patron impitoyable.
-
Karine est la femme aux chats, à la fois contrôleuse des impôts et éleveuse de Sacrés de Birmanie. Mal à l'aise dans un monde de la fiscalité en pleine restructuration, elle a choisi d'aménager sa vie personnelle et professionnelle pour assouvir sa passion des félins. L'élevage des chats est pour elle un art plutôt qu'un commerce. C'est pourquoi elle a voulu faire de ce second métier un lieu de réalisation de sa philosophie du soin mutuel. Par le récit sensible de sa rencontre avec Karine, Guillaume le Blanc rend toute sa richesse à cette existence entre deux mondes.
La vie aménagée de Karine montre la voie d'un rééquilibrage possible entre vie au travail et vie hors travail. Son histoire est aussi l'occasion de s'interroger sur la place affective croissante que les animaux domestiques occupent dans nos vies et de reconsidérer les frontières entre l'animal et l'humain.