Fabrique
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Les espoirs de la civilisation et autres écrits socialistes
William Morris
- Fabrique
- 4 Octobre 2024
- 9782358722827
Poète, écrivain, artiste, décorateur, William Morris (1834-1896) est aujourd'hui connu pour son oeuvre poétique et romanesque, ainsi que pour son travail révolutionnaire dans le domaine des arts décoratifs. Après une carrière bien remplie et de nombreux succès, il se « convertit » au socialisme au début des années 1880 à l'approche de la cinquantaine et se consacre corps et âme à la « cause » avec un enthousiasme et une énergie hors du commun. C'est cet aspect moins connu de sa vie et de son oeuvre que ce recueil d'articles et de conférences pour la plupart inédits en français nous fait découvrir. On y voit Morris s'affirmer comme l'un des pionniers du mouvement socialiste au Royaume-Uni. Révolté contre l'hypocrisie et le « philistinisme » de la société bourgeoise de son temps, il trouve dans le socialisme scientifique de Marx et Engels matière à aiguiser sa propre critique radicale du capitalisme. Sa sensibilité d'artiste lui permet d'humaniser la dimension parfois aride du matérialisme historique et de faire rêver ses lecteurs (et auditoires) d'un monde meilleur. Homme d'action et militant infatigable, il réussit une synthèse habile entre marxisme et critique de la civilisation industrielle, place l'art et le travail au centre de sa réflexion et s'insurge contre la destruction de la nature engendrée par la production de masse. Nombre des thèmes qu'il aborde dans ces textes aux magnifiques accents utopiques, comme la justice sociale, l'environnement, le consumérisme ou l'égalité hommesfemmes, restent plus que jamais d'actualité.
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Silvia Federici, dont le nom a déjà un fort écho en France depuis le succès du volumineux Caliban et la sorcière (Entremonde, 2014) propose ici une lecture inédite des rapports sociaux de domination, en faisant le choix de décentrer le regard par rapport aux domaines traditionnels de la critique sociale, à savoir le salariat et l'économie marchande.
Bien informée par sa grande fresque historique de la chasse aux sorcières à l'aube du capitalisme, Federici voit dans la famille et le contrôle de la sexualité, de la natalité, de l'hygiène et des populations surnuméraires (exclus, migrants et migrantes), la véritable infrastructure de la sphère productive.
Comment en effet faire tourner les usines sans les travailleurs bien vivants, nourris, blanchis, qui occupent la chaîne de montage ?
Loin de se cantonner à donner à voir le travail invisible des femmes au sein du foyer, Federici met en avant la centralité du travail consistant à reproduire la société (sexualité, procréation, affectivité, éducation, domesticité) et historicise les initiatives disciplinaires des élites occidentales à l'égard des capacités reproductrices des hommes et des femmes. De ce fait, la lutte contre le sexisme n'exige pas tant l'égalité salariale entre hommes et femmes, ni même la fin de préjugés ou d'une discrimination, mais la réappropriation collective des moyens de la reproduction sociale, des lieux de vie aux lieux de consommation, ce qui ne va pas sans la fin du capitalisme et de la production privée - production et reproduction étant irréductiblement enchâssées.
Ce livre constitue un essai court et percutant qui propose une lecture féministe, critique et exigeante de Marx, sans aucun prérequis en philosophie ou sciences économiques ; cet essai permet en outre de saisir avec rigueur la scansion historique du capitalisme patriarcal, ou encore les débats au sein du mouvement ouvrier sur l'horizon stratégique du féminisme.
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hier encore, le discours officiel opposait les vertus de la démocratie à l'horreur totalitaire, tandis que les révolutionnaires récusaient ses apparences au nom d'une démocratie réelle à venir.
ces temps sont révolus. alors même que certains gouvernements s'emploient à exporter la démocratie par la force des armes, notre intelligentsia n'en finit pas de déceler, dans tous les aspects de la vie publique et privée, les symptômes funestes de l'" individualisme démocratique " et les ravages de l'" égalitarisme " détruisant les valeurs collectives, forgeant un nouveau totalitarisme et conduisant l'humanité au suicide.
pour comprendre cette mutation idéologique, il ne suffit pas de l'inscrire dans le présent du gouvernement mondial de la richesse. il faut remonter au scandale premier que représente le " gouvernement du peuple " et saisir les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation. a ce prix, il est possible de retrouver, derrière les tièdes amours d'hier et les déchaînements haineux d'aujourd'hui, la puissance subversive toujours neuve et toujours menacée de l'idée démocratique.
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Le partage du sensible - esthetique et politique
Jacques Rancière
- Fabrique
- 10 Avril 2000
- 9782913372054
Au-delà des débats sur la crise de l'art ou la mort de l'image qui rejouent l'interminable scène de la " fin des utopies ", le présent texte voudrait établir quelques conditions d'intelligibilité, du lien qui noue esthétique et politique.
Il propose pour cela d'en revenir à l'inscription première des pratiques artistiques dans le découpage des temps et des espaces, du visible et de l'invisible, de la parole et du bruit, qui définit à la fois le lieu et l'enjeu de la politique. on peut alors distinguer des régimes historiques des arts comme formes spécifiques de ce rapport et renvoyer les spéculations sur le destin fatal mi glorieux de la " modernité " à l'analyse d'une de ces formes.
On peut aussi comprendre comment un même régime de pensée fonde la proclamation de l'autonomie de l'art et son identification à une forme de l'expérience collective. (j-r).
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ETAT, SOCIETE CIVILE, STRATEGIE.
LE MOMENT DE L'HEGEMONIE. L'UNITE DE LA THEORIE ET DE LA PRATIQUE. LES INTELLECTUELS. MACHIAVEL, LA POLITIQUE, LE PRINCE MODERNE ET LES CLASSES SUBALTERNES. PRODUCTION ET SEXUALITE
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Dominique Eddé livre ici une lecture inédite des travaux d'Edward Said. Procédant par rapprochements, recoupements, associations, pointant les relations secrètes entre l'auteur et son double, ses exercices d'admiration et ses exercices critiques, le pourfendeur de l'Orientalisme et l'atmosphère orientaliste de son enfance, elle nous donne à voir simultanément la cohérence et l'ambivalence assumée de cette pensée au style inimitable.
De Conrad à Swift, Ibn Khaldoun et Vico, en passant par Fanon, Adorno, Foucault, Derrida, Orwell, Mahfouz ou Camus, de Bach à Mozart, Strauss ou Beethoven, elle tisse les liens progressivement indéfectibles, conflictuels ou pas, entre leurs imaginaires et le sien. Ils en deviennent les personnages d'un roman qui s'écrit sous la forme d'une aventure intellectuelle où l'idée prend le pas sur la métaphore, la fugue sur la conclusion, et où, peu à peu, à l'approche de la mort, la notion d'irreconciability l'emporte sur celle de la toute-puissance politique, sans mettre en cause la validité de ses combats.
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Chasse aux esclaves fugitifs, aux Peaux-Rouges, aux peaux noires; chasse aux pauvres, aux exilés, aux apatrides, aux Juifs, aux sans-papiers: l'histoire des chasses à l'homme est une grille de lecture de la longue histoire de la violence des dominants.
Ces chasses ne se résument pas à des techniques de traque et de capture : elles nécessitent de tracer des lignes de démarcation parmi les êtres humains pour savoir qui est chassable et qui ne l'est pas. Aux proies, on ne refuse pas l'appartenance à l'espèce humaine : simple-ment, ce n'est pas la même forme d'humanité. Mais la relation de chasse n'est jamais à l'abri d'un retournement de situation, où les proies se rassemblent et se font chasseurs à leur tour.
Si la chasse à l'homme remonte à la nuit des temps, c'est avec l'expansion du capitalisme qu'elle s'étend et se rationalise. En Occident, " de vastes chasses aux pauvres concourent à la formation du salariat et à la montée en puissance d'un pouvoir de police dont les opérations de traque se trouvent liées à des dispositifs d'enfermement... Le grand pouvoir chasseur, qui déploie ses filets à une échelle jusque-là inconnue dans l'histoire de l'humanité, c'est celui du capital ".
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Le mot "peuple" a tant de sens différents qu'un danger en découle : celui de le ranger dans le vaste ensemble de mots en caoutchouc qui servent avant tout au maintien de l'ordre existant. Et de fait, certains usages du mot - comme le jugement et l'envoi en prison "Au nom du peuple français" - peuvent justifier une telle méfiance.
Mais les textes réunis dans ce livre montrent que "peuple" reste un mot actuel depuis l'article 35 de la Déclaration des droits de 1793 ("Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs").
Le peuple dont la représentation est si problématique (Didi-Huberman), le concept à géométrie variable de "classes populaires", de "peuple" ou de "travailleurs" (Bourdieu), la façon vicieuse d'amalgamer l'idée même de peuple démocratique à l'image de la foule dangereuse (Rancière), la façon dont les éléments réputés constitutifs du peuple ne font sens qu'au moment où se dessine un extérieur au peuple (Khiari) : tels sont quelques-uns des thèmes développés par les auteurs de ce livre, avec pour point commun de résister au découpage/démontage/destruction de la notion toujours subversive de peuple.
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On rencontre souvent la notion d'« écart » chez Rancière, toujours soucieux de « faire du deux avec de l'un ». Appliquée au cinéma, l'écart porte aussi bien sur la nature de la cinéphilie, qui lie le culte de l'art et la démocratie des divertissements, sur le rapport compliqué entre cinéma et politique, ou encore sur l'unité même de cet art, forme d'émotion ou vision du monde. Peut-être faut-il se demander « si le cinéma n'existe pas justement sous la forme de ce système d'écarts irréductibles entre des choses qui portent le même nom sans être des membres d'un même corps ».
C'est à partir de questions de cet ordre que Rancière convoque Bresson, Straub et Huillet, Pedro Costa, mais aussi Minelli et Hitchcock. Il ne raconte pas les films, il ne les commente pas non plus comme ferait un journaliste - il montre ce que, sans lui, nous ne verrions sans doute pas.
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"écrasez l'infame!" ; philosopher à l'âge des Lumières
Bertrand Binoche
- Fabrique
- 9 Novembre 2018
- 9782358721707
Être « le pays des Lumières » est l'un des grands thèmes nourrissant l'autosatisfaction française. Mais la révérence obligée n'a-t-elle pas édulcoré le message de ces Lumières et gommé la force polémique qui anime leur oeuvre, de Montesquieu à Voltaire, d'Helvétius à Diderot ? Dans ce livre, Bertrand Binoche montre combien ces auteurs aujourd'hui vénérés furent tout sauf consensuels en leur temps - au point de passer pour certains quelque temps en prison. Il éclaire les luttes, souvent violentes, qu'ils ont menées contre ce qu'ils nomment les « préjugés », contre la superstition qui nourrit « l'idolâtrie et le despotisme », contre l'esclavage - et l'on est esclave de ses préjugés comme de ses tyrans.
Les Lumières, « effervescence générale des esprits » disait d'Alembert. « On n'y trouve certes pas une philosophie en bonne et due forme, mais l'infatigable agitation d'intelligences se mouvant en tous sens avec audace et agilité », écrit Binoche. « Qu'est-ce donc que les Lumières ? Une nouvelle appréhension de l'activité philosophique tout entière ordonnée à détruire collectivement le «préjugé» et contrainte de ce fait à s'inventer de nouveaux modes d'existence. Il y en eut beaucoup. C'est pourquoi l'on dit les Lumières. Et ce pluriel est une merveille.
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"Qu'est-ce qu'un démocrate, je vous prie ? C'est là un mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc." Cette question, ce jugement sans appel d'Auguste Blanqui datent d'un siècle et demi mais gardent une actualité dont ce livre est un signe. Il ne faut pas s'attendre à y trouver une définition de la démocratie, ni un mode d'emploi et encore moins un verdict pour ou contre. Les huit philosophes qui ont accepté d'y participer n'ont sur le sujet qu'un seul point commun : ils et elles rejettent l'idée que la démocratie consisterait à glisser de temps à autre une enveloppe dans une boîte de plastique transparent. Leurs opinions sont précises dans leurs divergences, voire contradictoires - ce qui était prévu et même souhaité. Il en ressort, pour finir, que tout usé que soit le mot "démocratie", il n'est pas à abandonner à l'ennemi car il continue à servir de pivot autour duquel tournent, depuis Platon, les plus essentielles des controverses sur la politique.
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Un virus souverain ; l'asphyxie capitaliste
Donatella Di cesare
- Fabrique
- 22 Octobre 2020
- 9782358722056
Il n'est pas question ici d'épidémiologie, ni de virologie, ni de quelque « logie » que ce soit car c'est de philosophie qu'il s'agit. Du reste, Donatella Di Cesare enseigne cette discipline dans la plus ancienne institution universitaire d'Europe, La Sapienza à Rome.
Que penser d'une démocratie immunitaire où les experts ont acquis des places de gouvernants et où l'état d'exception est permanent ?
Que dire de la « distanciation sociale » sinon qu'elle est l'élargissement du fossé entre les riches et ceux qui n'ont rien ?
Comment qualifier un virus capable d'annuler l'idée même de frontière ? Comment qualifier les relations où chacun vit caché derrière son masque et où personne n'ose se toucher ?
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De Canguilhem à Foucault ; la force des normes
Pierre Macherey
- Fabrique
- 25 Septembre 2009
- 9782913372962
Qu'est-ce qui s'est passé, qu'est-ce qui a passé de Canguilhem à Foucault? La mise à jour d'une question dont ils ont été les premiers à reconnaître l'urgence : le rôle des normes dans la nature et dans la société.
Les normes ne sont pas des lois, des règles d'obligation qui supposent une contrainte extérieure pour être obéies. Elles interviennent à même les comportements, qu'elles orientent de l'intérieur. D'où viennent ces normes? D'où tirent-elles leur force ? De la vie, explique Canguilhem. De quelque chose qui, pour Foucault, pourrait s'appeler l'histoire. Comment la vie et l'histoire en sont-elles venues à conjoindre en pratique leurs actions respectives? Telle est la question autour de laquelle ont tourné ces deux auteurs-clés de la seconde moitié du XXe siècle, qui ont été constamment en dialogue.
Cinq études, composées entre 1963 et 1993, apportent un témoignage sur la façon dont Canguilhem et Foucault ont fait évoluer cette thématique des normes -une innovation dont l'importance est aujourd'hui universellement reconnue.
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Le lieu commun voudrait que Marx soit venu au communisme en faisant la rencontre des ouvriers. Pour le philosophe et militant grec Stathis Kouvélakis, c'est inexact. Pour reconstituer le fil qui mène au communisme de Marx, c'est du côté des retombées de la Révolution française dans la philosophie allemande qu'il faut aller regarder, car contrairement à son image conservatrice, Kouvélakis montre combien Kant, Hegel et leurs successeurs sont travaillés par l'espoir révolutionnaire, tout en souhaitant conjurer la violence des masses. Cette nouvelle édition est accompagnée d'un entretien inédit avec l'auteur, qui situe l'intention du livre dans le contexte de la crise du marxisme et du projet communiste. Il en souligne l'actualité et le tranchant politique, à l'heure où la critique sociale s'intéresse davantage aux inégalités qu'à l'acuité du concept de révolution.
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Buonarroti (1761-1837), c'est le chaînon obscur, clandestin, entre Robespierre et Blanqui, entre la Révolution française et les révoltes ouvrières du xixe siècle. Dans sa jeunesse, ce descendant de Michel-Ange a participé activement à la Conspiration des Égaux, qui menaça sérieusement le Directoire et se termina par le procès de Vendôme (1797), où Babeuf et Darthé furent condamnés à mort et Buonarroti à la déportation avec cinq de ses compagnons. Commença alors sa vie d'errance et d'organisation de sociétés secrètes dans toute l'Europe.
Quand il publie la Conspiration, à Bruxelles en 1827, c'est un quasi inconnu, aux cheveux blancs, qui vit en donnant des leçons de piano et de mathématiques tout en continuant ses activités clandestines. Et pourtant, ce texte va avoir une influence immense, il va être un bréviaire pour toute une génération de révolutionnaires, aussi bien chez les ouvriers français que les chartistes anglais ou les républicains italiens et belges. C'est qu'il y est question à la fois de Robespierre et du communisme, de l'insurrection et de l'égalité, de l'enfance et du bonheur.
Le texte de la Conspiration commence par une histoire, très robespierriste, des événements de la Révolution jusqu'au Directoire. Puis la conspiration elle-même est racontée dans ses détails - récit passionnant, mêlant idées et action, organisation et principes (« Ce n'était pas à l'aide d'une poignée de factieux, ameutés par l'appât du gain ou par un fanatisme insensé, que le directoire secret prétendait renverser le gouvernement usurpateur : il ne voulait employer d'autres mobiles que la force de la vérité. »). Une longue partie est ensuite consacrée à la société telle qu'elle sera après la victoire de l'insurrection : « la propriété de tous les biens est une : elle appartient au peuple ».
Enfin, la dernière partie raconte le procès de Vendôme et en particulier la magnifique défense de Babeuf.
« Un moment avant notre condamnation, Babeuf et Darthé reçurent de moi, sur les bancs de la Haute Cour de Vendôme, devant la hache aristocratique qui allait les frapper, la promesse de venger leur mémoire, en publiant un récit exact de nos intentions communes, que l'esprit de parti avait si étrangement défigurées.
» Ainsi commence la Conspiration, et l'on peut dire que cette promesse a été admirablement tenue.
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Au delà du siècle qui les sépare, on a coutume de renvoyer Marx et Foucault à deux programmes de recherche fondamentalement différents, qui informent encore aujourd'hui des stratégies politiques distinctes, voir incompatibles. À Marx, « découvreur » de l'exploitation capitaliste, théoricien des structures et philosophe de la totalité, aurait répondu Foucault, penseur des singularités, de la société disciplinaire et des micro-pouvoirs. Le premier reste intimement lié au mouvement ouvrier, tandis que le second a profondément influencé, à partir des années 1970, ce qu'on a appelé les « nouveaux mouvement sociaux », les luttes contre les oppressions spécifiques et la pensée postcoloniale.
Tout juste trente ans après la mort de Foucault et alors qu'on observe un regain d'intérêt éditorial et universitaire pour Marx, ce livre cherche à dépasser la simple confrontation pour faire communiquer ces deux figures de la pensée critique que réunissent leurs efforts constants, et féconds, pour comprendre la société moderne dans une perspective émancipatrice.
Plus exactement s'agit-il, sans abandonner les catégories marxistes, de prendre au sérieux le défi posé par Foucault, lequel a révélé - et mis en chantier - certains « impensés » du marxisme.
Spécialiste de la pensée de Marx et lecteur avisé de Foucault, Jacques Bidet interroge les concepts de « gouvernemantalité » et de « discipline » en relation avec la société de classe décrite par Marx. Il soumet la compréhension structurelle du capitalisme chez Marx aux travaux de Foucault sur le néolibéralisme comme pratique de gouvernement et souligne, plutôt qu'un « tournant » libéral, la continuité dans la pensée de celui-ci. En décryptant attentivement plusieurs textes majeurs de l'auteur de Surveiller et punir sans perdre de vue la référence constante - quoique souvent tacite - chez ce dernier à l'auteur du Capital, Bidet porte un regard neuf sur l'héritage foucaldien. Si Marx a brillamment mis à jour les mécanismes de l'exploitation capitaliste et les formes du pouvoir-propriétaire, Foucault apparaît quant à lui comme le penseur de « l'autre pôle » de la domination capitaliste : celui du savoir-pouvoir des « dirigeants-compétents » qui produisent des discours de vérité. Alors que le premier a mis en lumière les mécanismes du « marché », c'est cette autre médiation du rapport moderne de classe que le second donne à voir : « l'organisation ».
S'il note les contradictions et les désaccords entre les deux auteurs, Jacques Bidet n'en relève pas moins leurs affinités. Dans sa perspective, Foucault n'est pas le pourfendeur d'un marxisme vieilli et réductionniste, mais au contraire celui par lequel il devient possible de « remettre en mouvement l'héritage de Marx ». Car sur le terrain des luttes pour l'émancipation et des résistances au pouvoir, Foucault croise Marx. Reste à penser une configuration théorique à même de les convoquer ensemble « pour une analyse du temps présent ». Tel est le programme ouvert par Bidet dans cet ouvrage.
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Karl Marx, les voleurs de bois et le droit des pauvres
Daniel Bensaïd
- La Fabrique
- 27 Septembre 2007
- 9782913372672
En 1842, Karl Marx publie une série d'articles concernant les débats à la Diète rhénane à propos du vol de bois. Droit de propriété, liberté de la presse, rapport du délit à la peine : tels sont les enjeux de ces articles. L'essor du capitalisme entraînait alors un déplacement de la ligne de partage entre le droit coutumier des pauvres (glanage ou ramassage du bois mort) et le droit de plus en plus envahissant des propriétaires. Deux ans plus tôt, le fameux pamphlet de Proudhon Qu'est-ce que la propriétéoe avait fait scandale en s'en prenant aux justifications libérales de l'appropriation privée. Plus d'un siècle et demi plus tard, les controverses en cours sur le brevetage du vivant, la propriété intellectuelle, le droit opposable au logement, etc., donnent aux questions théoriques et juridiques soulevées à l'époque une troublante actualité. A partir d'une lecture des articles de Marx, Daniel Bensaïd revient sur les sources philosophiques du débat pour en dégager les enjeux actuels. Aujourd'hui comme hier, les dépossédés se soulèvent contre la privatisation du monde et la logique glaciale du calcul égoïste.
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Mao ; de la pratique et de la contradiction
Badiou A/Zizek S
- Fabrique
- 6 Septembre 2011
- 9782913372818
Parmi les textes rassemblés clans ce livre, certains sont si célèbres que leur titre fait effet de proverbe: une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine, ou l'impérialisme américain est un tigre de papier.
D'autres sont plus rares, difficiles à trouver, presque oubliés. mais l'ensemble dessine le territoire théorique de la révolution chinoise et montre, chemin faisant, que mao, dont il est à la mode de dire tout le mal possible, reste une grande figure marxiste révolutionnaire. slavoj zizek, dans sa présentation, situe la "pensée mao tsé-toung" par rapport à marx, lénine et staline. il montre ses limites mais aussi les erreurs d'interprétation auxquelles elle se prête toujours, même chez les meilleurs.
A la fin du livre, un échange de lettres entre alain badiou et slavoj zizek montre combien peut être fructueux un dialogue à la fois offensif et amical, argumenté et respectueux. badiou: "les descendants contre-révolutionnaires de nos "nouveaux philosophes" vont hurler, comme ils le font déjà, qu'avec badiou tu fais la paire des partisans attardés, mais quand même dangereux, d'un communisme sépulcral.
Quel autre sens pourrait bien avoir, pour ces chiens de garde de la nouvelle génération, de seulement parler de mao?".
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L'aventure de la philosophie française depuis les années 1960
Alain Badiou
- Fabrique
- 18 Octobre 2012
- 9782358720441
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L'histoire cachée du nihilisme ; Jacobi, Heidegger, Nietzsche
Michèle Cohen-Halimi, Jean-Pierre Faye
- La Fabrique
- 12 Janvier 2009
- 9782913372795
Nihilisme, sorte de signifiant flottant, a une histoire mal connue dont ce livre restitue les méandres.
Elle commence pendant la révolution française, et son premier locuteur est anacharsis cloots, député allemand à la convention, qui finira guillotiné après avoir déclaré que " la république des droits de l'homme n'est ni théiste ni athée : elle est nihiliste ". elle se poursuit autour de 1800, avec la querelle entre fichte et l'étrange jacobi, qui choisit le vocable " nihilisme " pour confondre l'athéisme et pour dénoncer kant, à travers fichte et ses amis.
On retrouvera plus tard le nihilisme dans le milieu cosmopolite des révolutionnaires russes : chez bakounine, puis chez dostoïevski, qui invente par le roman la scène métaphysique de la tragédie du nihilisme. étape ultime et décisive du nihilisme au xixe siècle : nietzsche, qui va " séparer les fils, dénouer les affinités truquées, analyser la composition de l'explosif pour dissocier différentes formes du nihilisme ".
Après ce parcours tracé par michèle cohen-halimi, la deuxième partie du livre, due à jean-pierre faye, est consacrée à l'utilisation du nihilisme par heidegger. méthodiquement, faye démonte les contradictions, les références fautives à nietzsche, les " mises en faux " qui servent à heidegger à sa propre justification et à celle d'un nihilisme d'état. un parcours inattendu sur une ligne brisée à travers l'europe, l'éclaircissement d'un mot à la fois fascinant et maléfique.
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C'est sous un angle inhabituel que ce livre interroge l'Université : il ne s'agit pas de doctes recommandations sur ce qu'elle devrait être pour surmonter ses difficultés actuelles, mais d'une lecture croisée de discours tenus par des penseurs, les uns universitaires et les autres pas. Certains sont des philosophes -Kant, Hegel, Heidegger-qui ont entrepris, souvent dans des discours solennels, de fixer l'essence de l'Université, d'en dégager les finalités profondes. D'autres, qui représentent des "sciences humaines" comme la psychanalyse (Lacan) ou la sociologie (Bourdieu et Passeron), ont cherché à faire la théorie de la réalité universitaire, en portant sur elle un regard objectif et pour une grande part désenchanté. D'autres enfin sont des écrivains (François Rabelais, Thomas Hardy, Hermann Hesse, Vladimir Nabokov) qui ont abordé l'Université par le biais de la fiction, ce qui leur a permis d'en révéler, certaines dérives, perceptibles seulement d'un point de vue extérieur. Ce livre balise les étapes d'un parcours, enclenche la dynamique d'une prise de distance, indispensable pour y voir plus clair sur la nature de cette "chose" aujourd'hui en péril qu'est l'Université.
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En 1974 Jacques Rancière examinait la leçon de marxisme donné par le philosophe Louis Althusser à un collègue anglais et en faisait l'occasion d'un bilan sur l'althussérisme lui-même.
Althusser avait imposé dans les années 1960 l'idée d'un retour à la vraie pensée de Marx, en phase avec les formes nouvelles de la pensée structuraliste (ethnologie de Lévi-Strauss, psychanalyse lacanienne, archéologie du savoir de Foucault) mais aussi avec les nouveaux espoirs révolutionnaires qui secouaient la planète à l'heure des luttes de décolonisation et de la révolution culturelle chinoise.
Or les événements de 1968 avaient montré le total décalage de ce marxisme renouvelé par rapport aux aspirations portées par les mouvements de la jeunesse et aux formes prises par la mobilisation populaire. La pensée du renouveau théorique et politique s'était transformée en pensée de l'ordre. Mais aussi, dans le contexte de l'après-68, cette pensée de l'ordre ne pouvait trouver son efficacité qu'en s'exprimant dans le langage de la subversion.
La Leçon d'Althusser s'attachait à dégager les conditions de ce renversement en examinant le coeur politique de la philosophie althussérienne, l'opposition de la science et de l'idéologie, à la lumière de l'histoire récente mais aussi à celle de la tradition ouvrière et révolutionnaire. Ce texte devenu introuvable est aujourd'hui réédité avec une préface de l'auteur qui en souligne l'actualité : le destin de cette pensée de la subversion devenue une justification de l'ordre existant n'est que le premier épisode d'un mouvement politique et intellectuel bien plus vaste.
Des années 1970 jusqu'à notre présent nous avons été témoins d'une vaste contre-révolution politique et intellectuelle dirigée contre tous les acquis des mouvements populaires d'un siècle et contre toute idée d'émancipation. Or cette contre-révolution a continuellement recyclé à son profit tous les thèmes de la pensée marxiste et critique d'hier. La Leçon d'Althusser mettait en lumière le mécanisme fondamental de ce processus et anticipait en ce sens le travail poursuivi par Jacques Rancière jusque dans des livres récents comme La Haine de la démocratie et Le Spectateur émancipé.
Ce travail est donc propre à aider à la compréhension du présent et à la reformulation d'une pensée de l'émancipation.
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Ce livre propose une trajectoire doublement polémique pour parcourir la pensée d'Alain Badiou.
Polémique d'abord parce qu'il s'agit d'une lecture à contre-courant de l'image maintenant dominante même parmi les meilleurs lecteurs de Badiou, selon laquelle ce penseur présenterait une figure dogmatique, souveraine, absolutiste ou mystique de l'événement en tant que coupure' radicale ou commencement pur. Et ensuite, parce que pour contrarier la lecture miraculeuse de l'événement qui n'y voit qu'une version à peine sécularisée de la grâce, ce livre mobilise non seulement tous les textes importants de Badiou, mais également une bonne partie de sa génération de penseurs.
Ainsi, le lecteur trouvera ici un démêlé constant avec les "maîtres" de Badiou, notamment Louis Althusser et Jacques Lacan, ainsi qu'avec ses "interlocuteurs", qu'ils soient directs ou implicites, abrupts ou amicaux : de Gilles Deleuze jusqu'à Slavoj Zizek, en passant par Daniel Bensaïd et Judith Butler. Plus encore que de retracer les lignes de démarcation sure. un parcours individuel ou générationnel, il s'agit de puiser dans un dispositif de réflexion plus vaste qui constitue le moment fort de la pensée française à partir des années soixante, et avec lequel nous n'avons peut-être pas encore terminé de régler nos comptes.